Traduttore, traditore

Les traducteurs sont des traîtres. Essentiellement. Certains moins corrompus trahissent moins que d’autres mais tous autant qu’ils sont sont passibles d’être passes aux armes par les mots pour crimes de haute trahison.

Je suis actuellement en train de traduire un recueil de poésie brésilien intitulé en portugais « Ardor e Ardências. » L’ouvrage paru en 2018 à pour auteur Inaê Silva Pereira Sodré. ISBN 978-85-66783-24-7. L’ouvrage porte en frontispice la phrase de Georges Bataille parue dans L’Erotisme, 1955:

« L’érotisme est dans la conscience de l’homme ce qui met en lui l’être en question ».

SUIT LA PHRASE DE L’AUTEUR

« GOZAR NÃO É ERRADO NEM PECADO, É GOSTOSO. »

MA PROPOSITION DE TRADUCTION: Jouir n’est ni mal ni péché mais jouissif .

Le titre m’a interrogé ! Ardeur et Ardences ou Ardeur et Ardances ? Dans Ardences on a ardeur et résistance donc résilience. Lequel des deux choisir. Ardor en portugais est masculin , ardeur est féminin. Je m’inquiète car cette ardeur est au centre du livre. J’y vois une femme aux proies des Ardences de son ardeur que chevauche une divinité afro brésilienne, la Pomba gira, que je pourrais appeler Maîtresse Erzulie, maîtresse, déesse, divinité, sorte d’Exu (Eshu), garde barrières maîtresse des chemins et des carrefours, épouse d’Elegba, qui lui ouvre les portes de la jouissance. La voilà devenue Esmeralda volant tel un oiseau de feu jusqu’à Séville et Grenade en Espagne. Oiseau lyre ou livre ouvert dont le corps se laisse lécher, feuilleter, déchiffrer comme un texte par un lecteur Roi qui transperce de sa dague les lignes, les phrases, les virgules et les réticences qui mènent à la possession et à la jouissance.

Certes le livre s’explore dans le cadre d’un panthéon afro brésilien. Pomba gira c’est l’Exu féminin, toute de noire et rouge vêtue. MAÎTRESSE Erzulie dans la cosmogonie rada du vaudou haïtien. Comment traduire ce Pomba Gira. J’ai proposé maîtresse, déesse, divinité. Qui se fait aussi appeler Padilha. MAIS J’AURAIS PU TOUT AUSSI BIEN L’APPELER CAVALIÈRE OU AMAZONE. L’IMPORTANT CE SONT LES IMAGES QUE L’ON CRÉE PAR LE TRUCHEMENT DES MOTS.

Et bien que je domine le portugais, je m’interroge pour:

1. Esquipa ! Que je traduis par appareille alors que envole-toi ou détale ou trotte auraient pu tout aussi bien s’appliquer.

2. Gira. je traduis par tourne mais pourquoi pas tourbillonne d’autant plus qu’on aura plus tard rodopia (tourner comme une toupie) et roda (tourne).

3. Atesta teu Cavalo. Teste ton cheval, chevauche ton Cheval, Dompte ton Cheval.

4. VIRILHA c’est l’aîne mais ce mot me déplaît, je le trouve trop médical, et le pubis trop spécifique, je préfère entrejambe équivalent à crotch en anglais.

Au diable la perfection, au diable la fidélité. On ne traduit pas, on adapte, on réinvente des équivalences crédibles en fonction de son public cible.

C’est en littérature comme en publicité. Ce n’est pas parce qu’une campagne véhiculée aux États-Unis a fait le buzz que son alternative ego double en français va cartonner. Il ne suffit pas de traduire, de faire du mot à mot. Il faut être crédible.

J’ai vu récemment une pub qui m’a intrigué. C’est une pub pour la montre connectée  Watch Series 4 d’Apple. C’est un homme qui boit son café dans son salon avec son double et qui regarde sa montre. Surgit alors au bas de sa rue un, puis au fur à mesure plusieurs clones de lui-même qui continuent la course. A la fin les cinq s’arrêtent épuisés. C’est alors que surgit du diable vauvert un sixième clone qui déboule et plonge dans la mer. Vient alors la phrase.

En français :

Il y a  un meilleur vous en vous !

Tandis que l’original en anglais dit :

There’s a better you in you !