L’Inde a depuis le 9 novembre 2014 un ministère appelé AYUSH : Minister of Ayurveda, Yoga and Naturopathy, Unani, Siddha and Homeopathy. Pour être donc précis ce que l’on a coutume de raccourcir depuis en Occident sous le vocable de ministère du yoga est aussi en charge de l’ayurved, de l’unani et du siddha, en d’autres mots, les médecines traditionnelles indiennes. L’homéopathie et la naturopathie font aussi partie de ses prérogatives.
Hier matin j’ai participé à une matinée d’initiation au yoga organisée à Kani Keli, Mayotte. Il y avait douze participants. Le yoga m’a toujours rebuté à cause des postures, et plus particulièrement parce qu’il faut souvent s’asseoir en tailleur, performance que je n’ai jamais réussi à faire. M’asseoir en mode tailleur a toujours été pénible pour moi depuis les cours de gymnastique au lycée Lakanal à la fin des années 60. J’ai toujours admiré secrètement ceux qui arrivaient ainsi à caser leurs genoux alors que moi cela n’a jamais été une position de repos mais plutôt un calvaire. Je sais qu’il y a des stratagèmes pour résoudre mon incapacité et m’asseoir en toute quiétude. En vain ai-je essayé ! J’en ai déduit que j’avais de gros genoux, de grosses cuisses et que donc physiquement j’étais limité pour le yoga et bien mieux charpenté pour la danse.
En plus le yoga, je l’assimile à la religion, le bouddhisme, l’hindouisme, le brahmanisme, j’ai entendu parler de certains dieux, je sais que ce sont des religions polythéistes avec tout un panthéon de dieux et de déesses, j’ai entendu parler de Shiva, de Brahma, de Krishna, de Rama mais j’ai du mal à appréhender tout le contenu car je ne vis pas en Inde. Mais après avoir vécu quinze ans au Brésil où j’ai pu peu ou prou comprendre l’architecture syncrétique brésilienne et l’articulation entre orixas (esprits) et autres croyances monothéistes je ne crois pas que j’aurai du mal à cerner les particularités des religions en place. Ce que j’en sais c’est ce que j’ai pu saisir par ce que j’ai pu en voir à travers la pratique d’amis à travers le temps: la pratique de la méditation, les parfums d’encens, un petit autel pour les ancêtres, une sorte d’ascèse, la solitude, les mantras qu’on répète sans cesse, les soutras qui sont des aphorismes. J’ai fréquenté aussi il y a fort longtemps à Amsterdam Hare Krishna et leurs robes orange, leurs cranes rasés, leurs chants psalmodiés, le son des cymbales, leurs nourritures végétariennes. il y a aussi pèle-mêle l’ayurveda, la médecine indienne traditionnelle qui divise notre corps en chakras. Il y a le Gange ! Il y a l’amour tantrique, l’amour lent qui confine l’acte sexuel total, qui unit le tout aux parties, au divin. il y a le rajah, le maharajah, les castes supérieures, les castes inférieures, les Intouchables, les devadasi, les prostituées des dieux, Calcutta, New Delhi et Ravi Shankar et son sitar ! Il ya le Mahatma Gandhi et sa non violence. Il y a l’oeil de Shiva et le kamasutra. Il y a le nirvana, il y a le parinirvana ! Il ya le Maharathoustra ! Et enfin last but not least il y a le colombo !
Dans le flot des images que secrète en moi le mot yoga il y a aussi à tort ou à raison le fakir qui marche sur les clous ou sur les braises chaudes, le bonze chinois et son gong, mais il y a surtout l’idée qu’il n’y a pas de yoga sans guru, il n’y a pas de guru sans disciple. Il n »y a pas de disciple si celui-ci ne se rend pas à son guru, s’il ne lâche pas prise, s’il ne s’abandonne pas à l’obéissance condition sine qua non de l’initiation. Et ainsi va le monde du yoga depuis 7000 ans.
J’ai déjà participé à une séance de yoga sur un week-end entier avec une amie il y a de cela plus de trente ans.
J’arrivais donc avec un passé, un passif à mon actif en ce treize janvier de l’an de grâce deux mille dix-huit!
Sauf que voila. Cette séance yoga était nommée yoga sur chaise. Je ne pouvais pas me débiner, comme d’habitude. En plus le prix 10 € pour environ 3 heures d’activité était séduisant. D’autant plus que je m’ennuie fermement à Mamoudzou le samedi alors j’y suis allé puisqu’en plus j’avais un chauffeur, S., collègue de travail, et elle férue de yoga et de sports de combats.
Je me présente à l’heure dite avec ma bedaine conscient que je serai le ventre le plus proéminent de l’assemblée. Au départ il n’y a qu’un homme, C. prof de yoga lui aussi, probablement doté de tablettes de chocolat à faire mourir d’envie un comateux. Mais heureusement qu’arrive au dernier moment celui qu’on appelle Monsieur Anicet. C’est un mahorais. Il invite la conférencière à venir donner des cours dans sa madrassa. Sa bedaine même si elle est un peu moins proéminente que la mienne me permet de mieux respirer ! Ouf ! L’union fait la force. Je le lui dis. Il me dit relativiser son état actuel car il n’a pas nagé récemment mais qu’il suffit qu’il nage une heure pour retrouver son corps d’athlète. Ah encore un autre qui me tue à petit feu, car moi je ne sais pas nager. Ce monde est injuste. Ah si le yoga pouvait se faire dans une piscine et qu’on pouvait en ressortir en nageant au bout d’une heure ou deux, je ferais tous les sacrifices du monde. Même au bout de six mois, je tenterais l’expérience. Qui ne tente rien n’a rien ! ! J’accepterais même, ohmygosh, de devenir le disciple d’un guru !
Pour commencer je vous présente la prof de yoga, notre guru, notre yogini du jour, A., d’origine bordelaise, prof d’espagnol de son état mais aussi prof de fle, comme moi-même et désormais chargée de mission au CASNAV ( en charge de la scolarisation de ceux qu’on appelle sobrement les élèves nouveaux arrivants non francophones mais qu’ici on appelle les enfants de migrants quand on est gentil et les enfants voisins quand on est méchant). A. est arrivée le 10 août à Mayotte me dira-t- elle plus tard ! Moi le 11. Elle a vécu et enseigné entre autres pays en Inde, à Maurice, à Moroni (aux Comores). Elle est jeune, mince, séduisante. Je pense que sa photo sur Facebook ne lui fait pas honneur. Peut-être n’est-elle pas photogénique ?! La lumière ne se commande pas ! Ou peut-être veut-elle cacher la beauté qui l’habite ! Qui sait ! Celle qui dissipe l’obscurité de l’autre perd peut être un peu de sa lumière dans le processus !
A. nous demande de faire un brainstorming sur le mot yoga, elle utilise d’ailleurs un joli mot que je vois pour la première fois pour décrire cette activité qu’on a coutume d’appeler remue-méninges, elle nous propose de participer à une pluie d’idées, joli mot ! Qu’ évoque en nous le mot yoga ? non sans nous avoir donné tout d’abord sa définition du yoga selon Patanjali: un arrêt des modifications de l’esprit. Certains évoquent la méditation, d’autres une philosophie de vie, un autre, un mahorais, le seul du groupe la prière, une autre la concentration, une autre les postures; une autre une paix intérieure Moi je ne dis rien car j’aime être exhaustif et je voudrais dire tout ce que je viens de dire sans me censurer. Mais une idée me vient suscitée par sa définition sommaire : je fais du yoga quand je m’endors, je fais du yoga quand j’écris, quand je me concentre et que je laisse aller ma plume sur le clavier de mon ordinateur. Je suis relâché, mes doigts sont souples, mon dos est droit, mes fesses bien calées sur ma chaise et je suis nu ! Je fais du yoga quand je me réveille en pleine nuit mû par une étrange érection dont je ne connais la cause : le besoin d’aimer ou le besoin de me vider. Je me tais, gardons par devers nous nos étranges pensées.
Puis nous abordons via le rétroprojecteur les 8 piliers du yoga selon le maharishi Patanjali. The eight limbs of yoga. Pendant qu’elle explique les subtilités de ces piliers moi je m’attarde sur la traduction de ce limbs. Limb, pilier ? Moi je l’aurais traduit comme branche ou comme membre. Mais peu importe ! Qui est donc ce Patanjali ? Il y aurait donc d’autres nomenclatures selon d’autres ? Pourquoi celle-là et pas une autre ?
Bref passons ! Il y aurait deux représentations du yoga, l’une en forme d’arbre avec un tronc et des branches et une autre en forme d’échelle. Elle propose la lecture en forme d’échelle.
Un système d’échelle où l’on démarre par le yama et le niyama, l’asana et le pranayama pour arriver au bout d’une certaine pratique au dhyana (état de méditation) et au samadhi (état d’unicité, d’équilibre) qu’elle nomme état d’extase et que moi j’assimile au parinirvana. Moi j’entends par limbs plus quelque chose comme ce qui suit : une confluence.
Après une heure de ce mini crash course en yoga c’est l’heure de la pause. Les chaises étaient hyper confortables, les ventilateurs de plafond étaient fort reposants. C’est pour moi l’heure du sacro saint pipi. Je traverse la maison chargée d’encens et de lumière savamment tamisée ! Le thé est servi avec des petits gateaux, de l’eau, des jus et deux plaquettes de chocolat noir Kohler. Certains sont partis fumer. Moi je plonge et ouvre la première tablette et hop 3 petits carrés de chocolat sont engloutis. Délicieux. Je ne me souviens pas avoir acheté une tablette de chocolat ces deux dernières années. Mais Kohler a ravivé en moi quelque chose. Un appel yogique, peut-être. Et hop 5 minutes après trois autres petits carrés pour confirmer mes premières impressions. Ce chocolat noir a un goût de chocolat au lait. Non, c’est un appel venu du fin fond de l’arc antillais comme le confirmera plus tard le site de Nestlé Antilles Guyane. Le chocolat Kohler est fabriqué spécialement pour correspondre au goût des Antillo-Guyanais tout comme les tablettes Red Label de Nestlé. Entre temps les autres, probablement éblouis par mes yeux exorbités au bord de l’extase, ont commencé à goûter eux aussi. Eh oui manger du chocolat c’est yogique aussi ! J’ai même un instant fermé les yeux et dérivé en canot dans une pluie de saveurs oubliées.
Après un petit quart d’heure vient l’heure de la pratique du yoga sur chaise. Nous apprenons d’abord à marcher, lentement en appuyant bien fort sur les talons. Puis nous devons nous ancrer par notre regard ou notre sourire dans le regard de l’autre. Puis nous apprenons les trois etages de la respiration yogique : abdominale ou diaphragmatique, costale ou thoracique et claviculaire ou haute. Une douce voix nous berce rythmiquement:
Inspirez, expirez ! Doucement ! 5 fois !
Nous faisons des postures debout puis sur la chaise, les bras joints au-dessus de la tête, étirons les cous, les jambes, les pieds, les orteils, les doigts, les poignets, les bras, les épaules, en haut en bas, à droite à gauche. Les hanches, le bassin ! eh mais je fais tout ça moi en dansant. Je fais du yoga, aussi, chaque fois que je danse ! Je vous l’ai déjà dit, docteur, j’ai la maladie du bouger bouger
Mais voilà qu’il faut maintenant plier un genou et poser son pied doigt sur la cuisse gauche ! Je fais l’effort surhumain pour moi ! il n’y a que monsieur Be-Bop, de son vrai nom Stéphane Germaneau qui ne plie pas ses genoux ! il reste un peu à l’écart. Je lui donne bien ses 75 ans ! Une célébrité sur l’île, propriétaire de la maison qui nous accueille, ex artisan, spécialiste de la sculpture sur bois flotté de noix de coco et désormais animateur thérapeutique sur Kani-Kéli, Mayotte, une sorte de vieux guru à longue barbe blanche ou poivrée. Il s’abstient. Il est malade m’a-t-on dit. Il doit voir vers midi un médecin.
Mais plier ce genou et inspirer expirer en même temps tout en levant les bras en arc de cercle. Euh ! Je passe mon tour. On change de jambe et ça passe mieux.
Puis on ferme les yeux et c’est la fin.
Vite j’ouvre la deuxième tablette de chocolat et saute sur trois nouveaux carrés salvateurs . Eh oui il faut dans le yoga s’aimer se donner de la valeur et en prenant ces carrés de chocolat je ne fais que ça. Laisser moi m’aimer ! Merci Kohler, merci Nestlé ! c’est trop bon ce yoga-là !
J’entends une femme enceinte. Je l’avais oubliée avec son ventre énorme. Je n’étais donc pas le plus gros en fait. Elle dit : j’ai senti le bébé bouger en plein yoga.
Plus tôt j’ai entendu Be-bop lui dire que les hommes et les femmes réagissaient différemment au yoga. Je me pose la question. Je n’avais pas, tout entier dans ma jouissance tribale du chocolat, fait la relation entre son ventre, elle et la future progéniture qu’elle portait. Elle a un regard vraiment angélique. Elle est presque transfigurée. Mais il faut dire qu’elle est arrivée en retard et transfigurée. Parfois quand elle souffle en inspirations expirations je me rends compte qu’elle pourrait accoucher ici-même. Qu’à cela ne tienne il y a une infirmière sur la place. Mais la dite infirmière en pédiatrie a l’air en fichu état. Je saurai plus tard qu’elle a une indigestion alimentaire due aux brochettes de viande qu’elle a ingurgitées la veille et qu’elle vomira plus tard à grosses gorgées sur la route aux abords d’un énorme baobab entre Kani-Kéli et Mamoudzou. Comme quoi brochettes, covoiturage et yoga ne font pas bon ménage. A sa décharge elle n’est sur le territoire que depuis 3 semaines.
S., ma collègue de travail, s’approche de moi et me dit quelque chose comme:
Jean-Marie tu sais le yama et le niyama tu pratiques déjà au quotidien dans tes relations avec les autres profs et avec les jeunes. Tu as cette bienveillance naturelle.
Moi, je lui répondrais volontiers que c’est au contact des autres que j’ai acquis au cours du temps cette bienveillance par rapport aux autres et que je travaille encore cette bienveillance par rapport à moi-même, que j’ai encore du mal à m’autoriser à être moi sans peur sans haine sans reproche même si une grande partie du chemin me semble accompli. Mais quand elle me dit cela je me sens tout à coup l’étoffe d’un guru ! Je voudrais lui dire qu’elle a en elle une colère qui doit s’apaiser pour qu’elle puisse se poser. Elle pratique la boxe et le yoga ! Pour exorciser un trop plein d’énergie, de violence ! Elle se met en colère pour un rien ! Elle aime la discipline, le respect, elle est aussi mariée à un militaire de haut rang dont elle vit séparée géographiquement, comme elle vit séparée géographiquement de ses deux filles et de ses parents. Parfois je me dis qu’elle peut exploser en plein vol et je l’encourage à prendre de la distance ! Sois zen, lui ai-je déjà dit plus d’une centaine de fois en 5 mois que nous nous connaissons mais chassez le naturel il revient au galop. Je lui souhaite de trouver un bon guru qui l’aide à dissiper l’obscurité qui l’a envahie.
Eh oui je suis zen sans avoir jamais pratiqué zen zen ! Cette zénitude attitude me conduit souvent à dire pour couper court à la conversation : faites comme vous voulez, moi je m’en fous ! Cela en énerve plus d’un ! Mes prises de position iconoclastes sur l’amour, le destin, la mort, la famille, la fidélité, l’argent, la voiture, la politique, la nourriture, la religion, ma façon même de vivre, de manger, de boire, de m’habiller interrogent, pour ne pas dire dérangent.
Moi mon guru c’est le cyclone, c’est lui qui m’a fait swami, éveillé, m’éveille et m’éveillera. Mon karma c’est être pyrobate, de marcher sur les charbons ardents de la vie et je n’ai qu’un mantra : un oeil ouvert au coin duquel iraient et viendraient des fourmis volantes chargées de soutras aussi volatiles que l’alizé.
Il n’en est pas moins vrai, même si j’ai l’air de plaisanter, je sais je suis taquin, que j’ai pu observer que dans une classe d’enfants non francophones non scolarisés nouvellement arrivés sur le territoire à Mayotte les bienfaits du yoga sont incomparables et je m’intéresse à tout ce que la Recherche sur le yoga dans l’éducation proposera et a déjà proposé depuis 40 ans, quitte à me l’appliquer à moi-même en m’inspirant de ce qui suit :
RYE_Semaine2018_KitPedagogique_2
et si d’aventure vous avez vent de quelque chose autour du yoga sur Mayotte qui me fasse nager en six mois, faites-le moi savoir illico presto ! Namasté !
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