Aimé Césaire dans La Tragédie du Roi Christophe (1963) quand vient l’heure du sacre de l’ancien chef cuisinier devenu roi au Cap, à Haïti, dans la cathédrale fait le choeur chanter:
« Henry vaillant guerrier
De la victoire ouvre-nous les portes »
Henry c’est Henry Christophe, personnification de Legba, le Vaillant, Papa Legba, le Janus haïtien, qu’on invoque en disant : « ouvre-moi la barrière ».
Vaillant est le mot qui a été attribué lors de son installation à Windsor Klébert Laferrière, plus connu sous le nom de Dany Laferrière alors qu’il venait d’être élu par les immortels pour occuper le fauteuil numéro deux de l’Académie Française, occupé juste avant lui par l’Argentin Hector Bianciotti (1930-2012) et bien longtemps avant par Alexandre Dumas fils, auteur de La Dame aux Camélias, descendant lui aussi d’une esclave haïtienne. Avant lui sur le 18ème fauteuil avait siégé Léopold Sédar Senghor.
« Vaillant :
adj. Qui a de la vaillance, qui est courageux. Une vaillante mère de famille. Un vaillant ouvrier. Un vaillant capitaine. Un peuple vaillant. C’est une nation vaillante. Il signifiait aussi Qui a de la valeur, qui vaut quelque chose; en ce sens il ne s’emploie plus que dans cette phrase : Il n’a plus un sou vaillant, Il ne possède plus rien. »
Elu le jeudi 12 décembre 2013 au premier tour, reçu en grande pompe le 28 mai 2015, il y a donc deux ans tout juste. A son discours de réception devant la Compagnie réunie en habits verts et bicornes on ne sait si voletèrent en caquetant sous la coupole des poules noires et si aucun chien aux relents de clairin ne se mit à aboyer Barbancourt, on ne sait si le ricanement du cliquetis des béquilles retentit. Mais Legba fut invoqué en plein quai Conti.
« Legba, le dieu du panthéon vaudou dont on voit la silhouette dans la plupart de mes écrits. Sur l’épée que je porte aujourd’hui il est présent par son vévé, un dessin qui lui est associé. Ce Legba permet à un mortel de passer du monde visible au monde invisible, puis de revenir au monde visible. C’est donc le dieu des écrivains. »
Legba, Papa Legba, Eshu, Esu, Esu-Elegbara, Exu, Eleggua, Elegbara, ce vieillard, gardien des barrières, maître des trois chemins, maître des trois rigoles, ce Très-Bas, à béquille et à chapeau, ses cornes, sa barbichette, son pénis aux allures de baobab, présent par son vévé sculpté sur l’épée sculptée par Patrick Vilaire. Un quadrilatère qui rassemble autour de lui Aimé Césaire, le Martiniquais, Léopold Sédar Senghor le Sénégalais, Léon-Gontran Damas le Guyanais et donc pour conclure la quadrature du carré Dany le Haïtien, et en même temps Dany le Canadien, l’auteur de Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer (1985), devenu le 726ème académicien.
Il aurait pu aussi citer son compatriote René Depestre et une partie de son poème-fleuve Atibon-Legba, extrait du Journal d’un animal marin :
« Je suis Atibon-Legba
Mon chapeau vient de la Guinée
De même que ma canne de bambou
De même que ma vieille douleur
De même que mes vieux os
Je suis le patron des portiers
Et des garçons d’ascenseur
Je suis Legba-Bois Legba-Cayes
Je suis Legba-Signangnon
Et ses sept frères Karatoulo
Je suis Legba-Karatoulo
Ce soir je plante mon reposoir
Le grand médicinier de mon âme,
Dans la terre de l’homme blanc
A la croisée de ses chemins »
Ou encore Césaire quand il invoque autre part Legba, le dieu de l’intersection :
« Maître des trois chemins, plaise que que pour une fois – la première fois depuis Akkad, depuis Elam depuis Sumer – […] j’avance à travers les feuilles mortes de mon petit pas sorcier » (Oeuvres Complètes 1, 24)
Edouard Glissant dans Monsieur Toussaint, Malemort et dans son poème Fastes évoque Legba tout comme Patrick Chamoiseau dans Solibo Magnifique et Raphaël Confiant. Alejo Carpentier , le cubain, avait dès 1949 et son Le Royaume de ce Monde incarné Legba à travers le personnage de Ti Noël.
Jacques Roumain, le haïtien encore, dans Les Gouverneurs de la Rosée avec son personnage Manoel, incarnation lui aussi de Papa Legba.
Derek Walcott (1930-2017), le sainte-lucien, Prix Nobel de littérature en 1992, auteur de l’épopée Omeros (1990) qui transplante l’odyssée grecque dans l’espace caraïbe.
VS Naipaul, de Trinidad, Prix Nobel en 2001!
Mais je m’interroge: aucun auteur guadeloupéen ne figure sur la liste des invités du bal donné en l’honneur de Legba, organisé par Laferrière le 28 mai 2015.
Legba, l’esprit maître de tous les passages, serait-il interdit de séjour en Guadeloupe, boycotté, n’aurions-nous droit qu’à Saint-Pierre !? Sans chauvinisme, s’entend ! Nous aussi réclamons le droit inaliénable au trickster garde-barrières ! « Depuis Akkad, depuis Elam depuis Sumer » depuis 1960 et le Prix Nobel de Saint-John Perse, Alexis Saint-Léger, l’auteur de Pour fêter mon enfance, Images à Crusoë, Eloges, Anabase
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