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Max Rippon et la route du saccharhum

 

« Entre sillage et sillon chaque trébuchement est une construction d’autres socs enfoncés dans la chair de la terre » Max Rippon

Max Rippon (1944-) est  le fils spirituel de Guy Tirolien (1917-1988). Il a d’ailleurs il y a plus de trente ans effectué la traduction en kreyol de quelques-uns des 33 poèmes  de ce dernier publiés  à Présence Africaine en 1961 et assemblés sous le vocable Balles d’or. A l’intérieur de ce recueil figure la fameuse « Prière d’un petit enfant nègre » qui date elle de 1943. Mais moi j’ai surtout mémorisé une ligne de son poème     « Redécouverte » où comme dans le Cahier d’un Retour au pays natal de    Césaire en 1939 il constate avec effroi que

« … rien n’a changé.

Les mouches sont toujours lourdes de vesou,

Et l’air chargé de sueur »

En 1977 Guy Tirolien publiera Feuilles Vivantes au Matin. dont le titre est tiré du dernier vers d’un poème de Saint-John Perse du livre Anabase écrit en 1924 et intitulé « Chanson » qui dit

Feuilles vivantes au matin sont à l’image de la gloire

Il y a entre Rippon et Tirolien des vases communicants étranges car Rippon est né à Grand-Bourg, Marie-Galante tandis que Tirolien est mort au même endroit. Tirolien est né à Pointe-à-Pitre tandis que Rippon a quitté   Grand-Bourg à l’âge de 11 ans pour s’installer à Pointe-à-Pitre. Les deux parcours galantais se complètent. L’un prend le français au collet tandis que l’autre fait la part belle au kreyol.

D’autres influences sont celles qu’il a reçues de poètes radicaux comme Sonny Rupaire et Hector Poulet, partisans d’une poésie créolophone et engagée que Rippon a longtemps pratiquée et surtout déclamée. Il se démarque des autres par son style, son créole basilectal marie-galantais et sa préciosité, son raffinement, sa recherche qui rendent parfois son texte hermétique mais qui font résonner en nous sans que l’on sache bien pourquoi les flux et reflux de la singularité créole.

Rippon commence en  fait quand Tirolien finit. Il publie en 1987 dans la propre maison d’édition Aicha son premier ouvrage Pawol Naïf suivi en 1989 par Feuille de Mots aux Editions Jasor.

Voici ainsi son poème extrait de : Débris de silence (2004)

Débouya sé péché ou sav

Débouya pa péché

yo fè-w akwè

konplo a nèg sé konplo a chyen

yo fè-w akwè

palé kréyol sé pawol a nèg-dalo

yo fè-w akwè

nèg ni mové mannyè

nèg ka kaka an tou

nèg sé dènyé nasyon apwé krapo

yo fè-w akwè

é ou kwè tousa dépasé kwè

ou kwè lanmè sèk

ou kwè ravèt pani rézon douvan poul

ou woufizé mèt lèspwi a-w

égal pat égal mòdan

pou péyi-la pran lèv an avan

é flangé lanm kon penn-kanno cho défouné

ou woufizé bwaré lang a manman-w

ou wounonsé tété an manmèl

ou woufizé triyé diri é pach an tré

ou lésé van vanné pawòl ki di-w

débouya sé péché

kokangé sé honté

prangad

ou woufizé tann lokans hélé an koulé

prangad

fwè gadé kò a-w an fas

kenbon

fouwé zotèy a-w an fon tè gras

pou rédé péyi-la vansé

ti-tak douvan

Max RIPPON

J’aime ses poèmes mis en musique par Urbain Rinaldo comme ici Mawonnaj, extrait lui aussi de Débris de Silences.

et autres comme Perdre pied et attendre, tiré du même opus.

Max Rippon vient de commettre un ouvrage à trois mains autour d’une graminée. A lui le texte poétique, à Alain Darré les photos sur support d’aluminium (subligraphie) faites à Marie-Galante, à Michel Gravil la composition musicale. Quant aux prises de son qui nous immergent dans les flèches de canne, les machettes, le vesou, la mélasse et le clairin, elles sont de Ludovic Sadjan.

Tout cela pour retracer l’odyssée du rhum, ou plutôt la route du rhum intime de chacun qui est d’abord la route de la canne à sucre (Saccharum officinarum) en prenant pour héroïne l’île aux cent moulins. L’ouvrage s’appelle Saccharhum. L’exposition a été présentée à Saint-Malo avant le départ de la Route du Rhum du 6 octobre au 4 novembre 2018 et sera présentée à Pointe-à-Pitre du 9 au 30 novembre.

 

Derrière tout soleil il y a une lune et une ribambelle d’étoiles (filantes)

Derrière tout soleil il y a une lune et une ribambelle d’étoiles ! Derrière tout grand homme, il y a une grande femme une ribambelle de muses. Une femme doubout, un poto-mitan, ou plusieurs ! Pour que l’homme soit grand il faut que la femme soit grande ou plusieurs. Or dans la vie on ne retient toujours que le nom des hommes. Mesdemoiselles Marie Josèphe (Josie) Dublé, Sylvie Sémavoine, Paule Médan, Suzanne Roussi, Dorothy  Milburn Russell, Sigfrid Nama, Ennie  ? sont plus connues sous   Mesdames Josie Fanon, Sylvie Glissant, Paule Béville, Suzanne Césaire , Dorothy Leger, Sigrid Walcott, Ennie Zobel

On peut dire que Derek Walcott (1930-2017) aura été un  très grand west-indian, un essaimeur pratiquant de la poétique de la relation  puisqu’il a connu lui trois mariages  et un concubinage, quatre égéries répertoriées donc à lui tout seul : une jamaïquaine Faye  Moston, une Trinidadienne Margaret Ruth Maillard (1932-2014), une saint-lucienne Norline Métivier et « last but not least » une américaine d’origine danoise et flamande Sigrid Nama. Et trois enfants Peter, Elisabeth et Anna. JU’en conclus que l’homme étrait un peu fenyan. Ceci dit cela est probablement dû à son enracinement méthodiste à Sainte-Lucie ! Derrière tout grand homme il y a mille îles !  Et en l’occurrence avec Walcott il y a Trinidad, il y a Grenade, il y a New York, il y a Boston, il y a Milan et bien sûr Sainte-Lucie ! il y a Castries ! il y a ces ancêtres ! Il y a la mer des Caraïbes et même la dernière pomme malacca qu’il a croquée près de Soufrière et qu’il n’a pas payée. tout participe à la grandeur d’un être !

Glissant lui n’aurait jamais été Glissant sans ses autres rhizomes constitutifs Mathieu, Pascal, Olivier, Jérôme et Barbara issus de deux lits, de multiples rivières, de deux vastes océans appelés mariages ! A Sylvie les condoléances et à son fils, aux autres enfants de Glissant mais aussi condoléances à celle qui fut sa première femme et que je n’ai pas encore identifiée. Pareillement  que  la ville du Diamant soit à jamais remerciée d’azvoir porté en son flanc le père du Tout-Monde.

Glissant grand idéalisateur de cette poétique de la relation de cette identité -relation symbolisée par le rhizome, l’igname, le gingembre, le dachine, ses racines rhizomatiques a dû probablement parcourir un parcours amoureux  divers en accord avec sa conceptualisation.

Aimé Fernand David Césaire (1913-2008), prince héritier de Basse-Pointe et de la négritude, grand proliférateur devant l’Eternel avec ses 6 enfants :  quatre garçons  (Jacques, Francis, Marco, Jean-Paul) et deux filles Ina et Michèle). Aimé comme Jorge Amado ! Prédestiné ! Il revendiquait avec fierté d’être « de la race de ceux qu’on opprime »

Frantz Fanon (1925-1961), né Frantz  mort Ibrahim Omar, père d’Olivier et de Mireille, l’Algérie, mourut qui est mort assez jeune est celui que j’ai côtoyé le plus. en vacances il y a de cela plus de 30 ans à Saint-Alban en Lozère, où il a exercé comme médecin en 1952, année de ma naissance, j’ai été abordé par un malade psychiatrique qui me suivait comme mon ombre : « papa, lunettes ». disait-il, l’air désemparé sans que je puisse comprendre ce que me valait cet honneur. Il était assez jeune. ne l’aurait-il été j’aurais juré que c’était un patient de Frantz Fanon qui l’avait autrefois apprécié et qui voyait en moi le grand psychiatre. Celui qui m’a fait réfléchir sur les conséquences et les causes. ans Les Damnés de la Terre.  Il disait ainsi  dans une lecture marxiste des rapports humains et des relations de classe: « La cause est conséquence : on est riche parce que blanc , on est blanc parce que riche ». Je ne crois pas à ce déterminisme. La preuve il aurait dû mourir en Algérie, il est mort aux Etats-Unis à Bethesda. Sa femme s’est suicidée elle en Algérie, suite à une agression, le 1 juillet 1989. Pourtant elle était blanche, donc riche, si l’on accepte son prédicat. Elle habitait Aïn Naâdja

Joseph Zobel (1915-2006), l’homme de Générargues qui a réussi à transplanter pendant plus de 40 ans son arrière-pays de  Rivière-Salée dans les Cévennes et ses 3 enfants Francis, Roland et Jenny. Zobel . Zobel c’est Anduze, ce sont les bambous, c’est Alès, c’est Nîmes. Une féria martiniquaise ! C’est l’aquarelle à la coréenne ! C’est le Sénégal, l’Afrique ! Zobel, c’est l’amour des gens simples, la sculpture, la poterie, l’art floral ikebana, une vie sans frontières, sans latitudes et sans longitudes.

Grand homme ou grande femme, toute personnalité  solaire est traversée d’étoiles filantes, ce sont comme des marques sur les tempes, des marques qui traduisent un arrière-pays mental fait de quartiers de lune et de queues de comètes

Rhizomes et arrière-pays culturels

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Gilles Deleuze, dans l’ouvrage Capitalisme et Schizophrénie 2. Mille plateaux, (1980) commis avec Félix Guattari, définit le rhizome  :

«Résumons les caractères principaux d’un rhizome: à la différence des arbres et de leurs racines, le rhizome connecte un point quelconque avec un autre point quelconque, et chacun de ses traits ne renvoie pas nécessairement à des traits de même nature, il met en jeu des régimes de signes très différents et même des états de non-signes. Le rhizome ne se laisse ramener ni à l’Un ni au multiple.»

Pour Deleuze et Guattari, le rhizome ne commence pas en x et ne finit pas en y , il reste toujours dans un inter, un parmi, pas un entre-deux et surtout pas un entre soi, c’est à dire soi et son semblable presque parfait, le rhizome c’est un inter-être, qui connecte un point à un autre point, il est multiforme, il prolifère,  pour l’appréhender les unités classiques de racine unique ne servent à rien, on doit faire appel à des dimensions, à des directions mouvantes et tentaculaires.
Tout en reprenant cette distinction entre la racine de type arbre et celle de type rhizome, Edouard Glissant l’enrichit en lui faisant prendre en compte le domaine de la relation, de l’altérité et du concept d’identité. Selon lui :

« La racine unique est celle qui tue autour d’elle alors que le rhizome est la racine qui s’étend à la rencontre d’autres racines. J’ai appliqué cette image au principe d’identité. Et je l’ai fait aussi en fonction d’une « catégorisation des cultures » qui m’est propre, d’une division des cultures en cultures ataviques et cultures composites. » (1996, Introduction à une Poétique du Divers)

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Ce concept d’identité rhizomatique me semble bien adapté pour décrire nos sociétés caribéennes créolisées tissées autour du métissage, de l’esclavage et du colonialisme ! Entre l’hermétisme de Saint John Perse, l’africanisme de Césaire, l’antillanité rhizomatique de Glissant et de Walcott, la créolité de Bernabé, Chamoiseau et Confiant j’ai tendance à pencher vers Glissant, c’est une pente qui a un biais important, celui de la diversité et de l’acceptation de l’Autre dans un Tout-Monde, et non celui de l’exclusion de l’Autre et le repli sur une identité mutilée qui me paraît rétrograde car je considère comme essentiel cette idée d’identité-relation

Sur le portail ce philosophie philo.fr j’ai retrouvé ce texte de Ludivine Thiaw-Po-Une dont j’ignore tout mais qui explique mieux que je ne saurais le faire comment l‘identité rhizomatique avancée par Edouard Glissant dérive de cette conception.

Le changement civilisationnel qui traverse l’histoire des hommes, Glissant le relit en termes de rencontre du Même et du Divers. Une rencontre qu’il appelle aussi « passage », où le Même, les puissances de l’assimilation, risquent sans cesse de l’emporter sur la préservation du Divers. Globalement, la relation entre le Même et le Divers met en présence et, souvent, aux prises une culture qui peut assaillir et une culture qui lui préexiste. La principale figure de cette relation explorée par Glissant est celle de la langue.


Deux configurations émergent de son analyse, selon la manière dont la culture des arrivants a assailli plus ou moins brutalement celle qui préexistait. L’une correspond au cas de Cuba : parce que l’intériorisation de la langue nouvelle n’a pas reposé, estime Glissant, sur des mécanismes aliénants, l’espagnol a pu devenir la langue nationale sans faire disparaître l’arrière-pays culturel.


Dans l’autre configuration, quand la langue maternelle orale se trouve bloquée par la langue officielle, l’arrière-pays culturel résiste dans toutes ses dimensions, y compris dans l’usage de la langue : tel est le cas de l’espagnol des Portoricains dans la relation de tension qu’il entretient avec l’homogénéisation anglo-américaine.


La relation entre le Même et le Divers est donc convenablement régulée dès lors que le Même ne vise pas l’aliénation brutale du Divers, dès lors qu’une culture ne cherche pas à réduire l’altérité, surtout lorsque celle-ci est d’ordre linguistique. A la faveur d’une telle régulation, il s’agit de relativiser la force, la masse et l’impact exercés par le Même des sociétés industrialisées, et de mettre ainsi en lumière les différences, les facteurs inattendus et les données exogènes des civilisations non industrialisées.


Cette sorte de « science de la relation » dont Glissant s’essaye ainsi à énoncer les théorèmes trouve cependant son expression la plus significative dans une image. Inscrite au cœur de ce qui se présente aussi comme une « poétique de la relation », elle est celle du rhizome, que Glissant emprunte à Guattari et à Deleuze pour l’appliquer à la théorie de l’identité et tenter d’y penser ensemble le Même et le Divers.

Pensée sur le modèle de la tige souterraine dont la principale caractéristique est la multiplicité végétative, l’identité échappe à toute représentation fixiste et essentialisante de l’identité, du type de celle que Glissant, je l’avais souligné dans mon précédent billet, reproche aux penseurs de la créolité. La représentation de l’enracinement qui fixe à une origine a pour modèle l’arbre, dont la souche porte une seule tige : la multiplicité végétative, qui se développe verticalement, est alors conditionnée par des enracinements dans des souches elles-mêmes multiples. Cette représentation d’une multiplicité primaire clôt dès lors chaque identité culturelle sur son rapport à sa propre origine et fait éclater l’horizon de l’universel, au bénéfice d’une fragmentation tendancielle de l’humanité en ghettos communautaires. La puissance du Divers l’emporte alors définitivement sur celle du Même : on y gagne d’échapper à l’uniformisation ou à l’assimilation, on y perd la perspective universaliste d’une unité du genre humain, en s’exposant alors à des dérives racialisantes qu’on ne s’attendait pas forcément à rencontrer sur la trajectoire d’une pensée de la pluralité des cultures.

L’identité rhizomatique que défend Glissant désigne au contraire, dans la racine elle-même, une puissance de diversification continue : c’est la racine, donc le Même, qui contient déjà le Divers, en développant horizontalement une multiplicité primaire ou originelle.

Entre l’universalisme assimilationniste, qui exclut les groupes inassimilables et ne les inclut qu’au prix de leur renoncement à eux-mêmes, et un multiculturalisme qui clôt chaque identité sur son propre enracinement, Glissant avance donc une conception de l’identité dont ce qu’elle a de séduisant tient à la synthèse qu’elle invite à penser entre l’universalité et la diversité. Au-delà de l’image du rhizome, c’est ici le phénomène du métissage culturel, d’un métissage inscrit dans l’origine elle-même et constitutif de l’identité qui en résulte, que Glissant invite à méditer.


Ce pourquoi, plutôt que la créolité (quand elle est conçue en termes essentialistes), c’est la créolisation qui, comme processus originel identifiant un peuple au métissage dont il est le produit distinctif, apparaît ici constituer, pourrait-on dire en termes kantiens, une présentation sensible de l’idée de métissage culturel, donc d’un multiculturalisme compatible avec l’universalisme.


Il ne m’échappe pas que beaucoup de questions pourraient naître de telles considérations. Il ne tient qu’à vous que nous puissions continuer d’y réfléchir ici ou là, à un moment ou à un autre. Notamment peut-on se demander si une telle représentation de l’identité collective en termes de métissage culturel ne contribue à vider de tout contenu spécifique chacune des identités ainsi produite : à l’ère de la mondialisation, le métissage des cultures n’est-il pas la voie de leur assimilation, donc de leur disparition comme identités distinctes ?


 

Objection à laquelle Glissant répond dans son Discours antillais (1981) en soulignant que « le rhizome n’est pas nomade, il s’enracine, même dans l’air ». Moins poétiquement exprimé : la diversification végétative inscrite dans la racine même n’empêche pas celle-ci de constituer une racine, qui ne se trouve donc pas dépourvue de tout repère distinctif. Que le rhizome ne soit pas une souche le prédispose à « accepter » l’autre, et à se trouver toujours ouvert ou offert à un possible bourgeon nouveau. Reste que tout métissage ne produit pas une identité distinctive, aussi frappante comme identité distinctive que peut l’être l’identité créole chère à Glissant. Elle diffère en effet à la fois des autres identités et d’elle-même comme identité créole, tant il est vrai qu’aussi bien d’une île à l’autre de l’archipel antillais que des Antilles aux îles de l’Océan indien où se sont accomplies d’autres créolisations, le Même se donne toujours déjà comme diversifié, en même temps que la diversification des créoles n’interdit pas de penser, notamment au plan linguistique, un apparentement.


En ce sens, le métissage culturel peut donc apparaître comme l’une des conditions d’une synthèse du Même et du Divers qui ne dissolve pas la diversité. Encore faut-il, pour éviter une telle dissolution, qu’au simple métissage culturel, qui constitue (en ouvrant le Même au Divers) déjà une vertu, vienne s’ajouter une autre condition, plus énigmatique : celle qui fait du produit du métissage un élément du développement rhizomatique d’une certaine identité, laquelle doit bien se caractériser et se distinguer par une dimension d’unité qui lui est propre, inscrite non pas, sans doute, dans une nature ou dans une essence, mais peut-être dans une histoire partagée ou dans un moment d’histoire partagée. »


Ludivine Thiaw-Po-Une

 

Graeci Troianos amore pulchrae feminae pugnaverunt

 

Omerosbook

Il y a 27 ans, en 1991 paraissait  Omeros,  le poème-fleuve  du sainte-lucien-trinidadien Derek Walcott. En 1992 il obtenait le Prix Nobel de littérature et cette oeuvre y a beaucoup contribué. Il devenait ainsi le second prix Nobel à recevoir cette distinction après Saint-John Perse (Alexis Saint léger pour les intimes, le guadeloupéen) en 1960 et avant Vidiadhar Suraiprasad Naipaul, le trinidadéen en 2001. Ces trois prix Nobel racontent trois expériences du fait caraïbe (expérience des blancs créole en Guadeloupe chez Perse, expérience des descendants d’esclaves à Sainte-Lucie et à Trinidad chez Walcott et expérience des descendants d’Hindous chez Naipaul). Walcott est décédé le 17 mars 2017 et voici ce qu’écrivait William Grimes (en anglais) dans le New York Times à son sujet et je n’ai toujours pas lu Omeros. Quelle honte !  What a shame ! Ou pa ni two wont ? C’est un géant, je sais, il faut le lire ! Mais j’y pense je n’ai lu aucun des trois à fond. J’ai parcouru quelques pages, un poème par ci un autre par là, une nouvelle par ci une nouvelle par là. J’ai sauté d’île en île sur leurs écrits mais en dehors de ces sauts de puces rien de vraiment substantiel, rien de profond, je les ai abordés à la longue-vue pas à la loupe. Je vais réparer cette injustice et cette année 2017 ne se terminera pas avant que je n’ai lu avec profondeur Perse, Naipaul et Walcott en version originale.

J’ai des circonstances atténuantes, certes.  En 1990, en 1992 j’étais au Brésil et je m’intéressais alors beaucoup plus à la littérature brésilienne. Je voyageais entre Jorge Amado (auteur entre autres de Dona Flor e seus dois maridos, A morte de Quincas Berro d’Agua )  Manoel Wenceslau Leite de Barros – l’auteur fabuleux de Gramática Expositiva do Chão (1966) et de Tratado Geral das Grandezas do Infimo (2014) – Gregório de Matos, Carlos Gomes, Oswald de Andrade, Graciliano Ramos (Vidas Secas), Clarice Lispector, Cecilia Meireles, Carlos Drummond de Andrade, João Guimarães Rosa,  Mário de Andrade (Macunaima), Manuel Bandeira, Fernando Veríssimo, João Ubaldo Ribeiro, Mário Quintana et tant d’autres, puis la vie m’a pris dans un tourbillon, ma guerre de Troie personnelle qui m’a pris 20 ans, deux enfants sont nés en France, j’ai dû m’investir dans la famille, les études, les relations et tout cela m’a éloigné pendant longtemps sinon de l’écriture mais  de la lecture.

Omeros fait tout de suite penser à Homère qui lui évoque à son tour l’Iliade et  l »Odyssée. La Grèce, la Méditerranée, l’antiquité, la mer, les dieux Athéna, Apollon, Zeus, Circé, le Cyclope, Ithaque, la guerre de Troie, Pénélope, Ulysse, Achille, Sparte, Horace, beaucoup de sang, le cheval de Troie, voilà tout ce que j’ai en tête quand je me souviens de ces lectures d’enfance. Je l’avoue, j’ai avalé des pages et des pages de l’Iliade et de l’Odyssée. J’ai aussi lu l’Enéide de Virgile qui raconte les pérégrinations d’Enée, un autre des Troyens qui a réussi à sauver sa peau de la tragédie de Troie. J’ai lu aussi tous les travaux d’Hercule. Rien d’étonnant à tout cela puisque j’ai fait des études latines. Omeros me plonge dans tout cela. Je me rappelle aussi en passant de la pièce La guerre de Troie n’aura pas lieu de Jean Giraudoux, qui est une réflexion sur la guerre et son inévitabilité, sa fatalité, écrite en 1936, un ouvrage prophétique sur la guerre qui allait éclater incessamment sous peu,  que j’ai lu lui aussi en son temps ! Et Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage, /Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,/ Et puis est retourné , plein d’usage et  raison,/ Vivre entre ses parents le reste de son âge de Joachim du Bellay (1522-1560) qui a résonné toute ma vie dans ma tête et qui résonne encore et qui me fait toujours méditer sur l’éternel retour aux racines. Omeros m’évoque aussi Ulysses (1922) de James Joyce (1882-1941), un roman dense et touffu, dont l’odyssée en plein Dublin a lieu le 16 juin 1904 (le personnage principal Leopold Bloom et son alter ego Stephen Daedalus sont encore aujourd’hui fêtés tous les 16 juin en Irlande, lors du fameux Bloomsday). L’ouvrage, « cathédrale de prose » qui fit en son temps scandale éveille en moi un maelstrom exquis et inextricable d’histoires parfois indescriptibles, parfois indéchiffrables. J’ai tenté autrefois de lire cet  Ulysses  dans le texte, je crois avoir abandonné à plusieurs reprises. Il est vrai que j’ai toujours voulu le lire dans le texte en anglais. Quoi que dans son texte il y a  tant de sous-textes et de para-textes et d’infra textes (pour emprunter aux théories de Gérard, Genette sur l’écriture, cf Palimpsestes) que j’ai dû me résoudre pendant longtemps à jeter ce texte aux oubliettes dans un coin maudit de ma bibliothèque que je dédie aux hermétiques et où figurent outre Ulysses, Ainsi parla Zarathoustra de Nietsche et la brésilienne Clarice Lispector . Beaucoup de traducteurs se sont attaqué à ce texte comme s’il s’était agi de l’un des 100 travaux d’Hercule et s’y sont cassé les dents car les récifs y sont nombreux: du grec, du latin, du français, de l’allemand à tout bout de champ, des références en veux-tu en voilà, une vraie performance que ce pavé.

Eh bien ne voilà t-il pas qu’un west indian, un antillais, un caribéen a décidé en 1990 de transposer tout ce passif en actif caribéen. Il fallait être né à Sainte-Lucie pour tenter telle aventure, Sainte-Lucie qu’on appelait autrefois  Hélen, celle pour les beaux yeux (et le corps tentaculaire en forme de poire) de laquelle une autre guerre de Troie a lieu, la guerre des Antilles, la bataille des Saintes, qui vit s’affronter dans la baie de Castries du 9 au 12 avril 1782 les 36 vaisseaux anglais de l’amiral George Brydge Rodney (sur son vaisseau amiral  HMS Formidable), du vice-amiral  Samuel Hood (sur son vaisseau HMS Barfleur) et du vice-amiral Francis Samuel Drake (sur HMS Princessa) et la flotte française composée de 33 vaisseaux commandés par le Comte de Grasse (sur son vaisseau amiral Ville de Paris) à la tête de l’escadre blanche, avec l »appui   de l’escadre blanche et bleue commandée par Charles de Coriolis d’Espinouse sur le Duc de Bourgogne, et de l’escadre bleue commandée par  Louis Antoine de Bougainville sur l’Auguste .

Omeros c’est tout cela  transposé aux Caraïbes, sur l’île de Sainte-Lucie. 325 pages d’une épopée écrite en tercets à la mode de Dante et sa Divine Comédie, soit  dans la pure tradition de la terza rima (le premier et le troisième vers du premier tercet riment ensemble, le deuxième vers du premier tercet rime avec le  premier du second, et ainsi de suite) , ce qui a pour effet de donner au poème un rythme presque de ressac  de vagues qui se brisent sur l’estran, presque indéfiniment. Des auteurs comme Homère, Joyce, Walt Whitman, Crane, Dante, mais aussi l’anglais, le latin, le grec, le créole, le français, l’italien, l’allemand sont invoqués pour donner un souffle vertigineux au tissu textuel. Ogun et Zeus font une cyclone-party dans leur loft confortablement bien situé sur un nuage ! L’oeuvre, qui s’apparente à un long chant, une mélopée chatoyante, est composée de 5 livres chacun possédant un certain nombres de chapitres et étonnamment 25 ans après l’oeuvre n’a toujours pas, que je sache, été traduite en français, jigé an kreyol ! « Traduttore tradittore » disait je ne sais plus très bien qui, « traducteur traître », oui pour traduire Joyce il faut un certain bagage. de même pour traduire Derek Walcott, il faut le vouloir, il faut comprendre les jeux de mots, les allusions, la faune, la flore, la musique de Sainte-Lucie mais aussi l’anglais sainte-lucien, et trinidadéen mais aussi Homère mais aussi Joyce mais aussi Dante mais aussi Whitman ! Chaud les pistaches chaud, xo satanas xo, vous m’avez compris ! ? Il faut du costaud pour s’attaquer à Walcott, du calibre 29, des cojones, pas des couilles molles, des couilles gonflées à péter et peu de traducteurs se sont osé à fricoter avec Omeros, à se frotter contre le texte, pas seulement se frotter et jouir en quelques secondes, non, se frotter comme quand on se frotte dans l’amour tantrique, se frotter en prenant son temps, en se caressant à l’huile parfumée sur un fond de musique éthérée. Se frotter en tant que lecteur ce n’est déjà pas une sinécure bien qu’en temps que guadeloupéen son kreyol sainte-lucien ne m’est pas étranger, il m’en facilite la lecture, je n’ai pas besoin de glossaire, de renvois en bas de page, je connais la flore, la faune, Sainte-Lucie c’est à côté, nous sommes frères et soeurs presque, beaucoup de martiniquais sont partis pour Sainte Lucie entre 1767 et 1769, si ma mémoire est bonne. D’autres y sont partis en bateau vers la fin des années 30 en dissidence. Alors imaginer traduire Omeros !  Omeros est comme la belle Hélène qui n’a eu que trois hommes invités pour savourer sa chair : Ménélas son mari, le spartiate, Pâris son amant, le Troyen puis Déiphobe, le Troyen  après que son amant Paris soit passé de vie à trépas, et à nouveau Ménélas après 10 ans de séparation. Tenter de séduire le texte, l’amadouer, le cajoler, mais aussi l’enlever, lui faire l’amour sans le violer, voilà la tâche . Seul un OSS 117 de la traduction pourrait relever un tel défi ! My name is Bond, James Bond, je vais traduire Omeros en kreyol, au moins comme l’ont fait quelques-uns, le premier chapitre (pas folle la guêpe), je ne sais pas si j’ai le gabarit désiré, mais j’ai le désir qui me brûle en même temps le tout et les parties. Mais avant cela laissez-moi vous raconter vitement l’histoire en français pour ceux qui ne la connaissent pas. Accrochez-vous, ça va tanguer. C’est une histoire qui mélange généalogie, roi, dieux, mer, mort, « amour, gloire et beauté » à la mode antique. Voici le pitch qui pourrait se résumer à cette phrase simple, limpide et définitive en latin :

« Graeci Troianos amore pulchrae feminae pugnaverunt »

La guerre de Troie oppose les Troyens aux Grecs suite à l’enlèvement par Pâris, fils de Priam, roi de Troie, d’Hélène, fille de Léda et Tyndare, ancien roi de Sparte, épouse de Ménélas, nouveau roi de Sparte. Hélène en réalité est fille du dieu Zeus avec Leda comme ses deux frères jumeaux Castor et Pollux. Il faut dire qu’en ce temps-là les dieux aimaient bien le vagabondage ! Le couple a deux enfants selon certains, trois selon d’autres, une fille Hermione, un ou deux garçons Nicostratos et Plysthènes. Ménélas, fils de sieur Atrée et de dame Aéropé, cocu et pas content du tout, prend sa coque de lambi et convoque son frère Agamemnon, époux de Clytemnestre pour réclamer vengeance. L’accompagnent dans cette vendetta une flotte de rois achéens en tous genres qui étaient tous les anciens prétendants de sa femme mais à qui il étaient inextricablement liés par un serment du genre de celui qui lie une vingtaine de pays via l’OTAN  : Ulysse, roi d’Ithaque, époux de Pénélope; Patrocle, cousin et ami intime, si ce n’est mignon, d’Achille (les avis divergent entre Sophocle et d’autres penseurs de son temps, on ne sait jusqu’à quel point exactement); Nestor, Antiloque, Mérion, Eumélos, Diomède, Philoctèle (compagnon d’Hercule), les 2 frères Ajax, le grand et le Petit,  Epéios, Polpoétès, Teucros et enfin Achille, fils de Pelée, roi des Myrmidons et de Thétis, une Néréide (fils d’une déesse et d’un mortel).

Du côté des Troyens, la partie averse, Hector, frère de Pâris, qui a commis l’irréparable enlèvement avec le consentement de la belle Hélène (soit dit entre nous) a pour alliés ses 50 frères et ses 50 beaux-frères. Ce Priam de père  était semble-t-il bien fécond, plaignons la fertile Hécube car elle lui donna à elle seule selon Homère au moins 19 enfants vaillants et bien portants, alors  que d’autres auteurs  comme Apollodore et Hygin, Pausanias  et Virgile font d’autres comptes d’actes de naissances et de cordons ombilicaux et évoquent des premiers, deuxièmes, troisièmes, voire quatrièmes lits, quoi qu’à cette époque-là aux généalogistes il importait peu de savoir si la marmaille était légitime ou illégitime, adultérine ou incestueuse, mortelle, semi-mortelle ou immortelle. Ce qui est indubitable c’est que Priam, cet antique chaud lapin troyen, prenant à la lettre, voire devançant la lettre du verset de la Genèse disant « Peuplez et multipliez » aurait engendré (on dirait de lui aux Antilles « ou ka péplé kon kondin »). Presque autant d’enfants que mon cousin bouillantais Wobè ! Mais qu’on soit roi ou pêcheur ou chauffeur de taxi nul n’était alors à l’abri dans cette Caraïbe méditerranéenne du pêché de chair !

Hector, récapitulons, fils de Priam et d’Hécube, frère aîné de Pâris, l’auteur du rapt de la belle Hélène, est l’époux d’Andromaque.

Je vous épargne toutes les péripéties car la guerre de Troie dura 10 ans, qui permirent à Ménélas d’avoir en pleine guerre au moins 3 autres liaisons qui engendrèrent trois garçons:. avec une manzè Piéris il eut Nicostratus, avec une manzè Téridaé il eut Mégapenthès, avec une manzè Cnossia il eut Xénodamus. Sacré Spartiates !

Hector, sera tué par Achille. qui se vengera du fait que le premier auparavant aura tué Patrocle, l’ami-amant d’Achille. Achille, demi-dieu demi-homme passera lui aussi sous les fourches caudines du Styx, malgré son corps qui y fut plongé tout entier à l’exception de son talon mythique qui reçut un coup de flèche fatal à l’astragale et l’un des 50 beaux-frères de Pâris et Hector qui est réputé invincible est vaincu par une flèche dans son talon du pied droit (la seule partie de son corps qui n’avait pas été protégée par le bain de ses pieds dans le Styx), laquelle flèche a été décochée par Pâris avec pour gps Apollon. Exit le bel Achille qui sentait bon l’ambroisie à défaut de bay-rhum! Sa mort sera vengée plus tard par l’un de ses fils Néoptolème surnommé en famille Pyrrhus qui tuera lui aussi le vieux Priam ainsi que le petit-fils de ce dernier, Astyanax, fils d’Hector, qu’il envoya valdinguer dans le vide au-dessus des murailles en flammes de Troie. Sans pitié, le bougre ! 8 ans après ces évènements Oreste dut liquider à son tour Neoptolème, le fils d’Achille et Déidamie,  car ce dernier, fils d’Achille, rappelons-le, venait d’épouser sa promise depuis l’enfance Hermione, fille d’Hélène et Ménélas. Mi déba ! ce règlement de comptes sans fin ! et l’histoire folle continue avec Pâris qui aidé d’Aphrodite (à qui il avait donné la mangue de discorde, la choisissant comme la plus belle des déesses de la Soufrière, la préférant à Héra et Athéna) disparaît dans un nuage alors qu’il venait d’être vaincu en duel par Ménélas, aidé lui par les déesses Athéna et Héra. Il en réchappe provisoirement mais c’est reculer pour mieux sauter car il sera bientôt tué en combat singulier par une flèche de Philoctète, ancien compagnon d’Héraklès dont il avait hérité l’arc et les flèches. Exit Pâris ! L’histoire ne dit pas si Pâris engrossa  Hélène, mais on chuchote sous cape que Pâris aurait été brehaigne ! C’est à se demander à quoi servit l’entregeance d’Aphrodite dans tout ce micmac.

La belle Hélène, qui adorait non pas les poires au chocolat, mais les quénettes cueillies à même l’arbre,  qui , avant de se marier à Ménélas avait été  l’obscur objet du désir de plus de 30 prétendants de haute vaillance et de haut lignage, se résolut, la mort dans l’âme de se donner alors un nouveau mari Déiphobe, frère de Pâris qui était en concurrence avec un autre frère Hélénos pour la conquérir, après avoir observé comme  il se doit quelques tabous de veuvage. Que voulez-vous, la chair est faible, la chair appelle la chair ! Et ceux qui aiment la chair ne se contentent pas d’un poisson maigre !

Vient alors le stratagème d’Ulysse qui concocte un énorme cheval en bois, qui allait devenir le cheval de Troie, pour abriter les plus vaillants guerriers grecs pour envahir la citadelle assiégée qui résistait encore et qui semblait inexpugnable. Ces kouyons de Troyens acceptent le cadeau empoisonné des Grecs (on dit toujours au Brésil « presente de grego », pour un cadeau comme celui-ci aux conséquences funestes) . Mais ce pauvre Déiphobe dut subir lui aussi comme son frère Pâris le courroux de l’homme trompé (on ne trompe pas impunément un Spartiate) et finit lui aussi au cimetière. Ainsi se réalise l’oracle : Troia delenda est (il faut détruire Troie). On ne cocufie pas impunément le roi de Sparte, mezanmi ! Heureusement pour lui comme le raconte Virgile dans l’Enéide, Enée, qui faisait partie e la branche cadette de la dynastie e Troie réussit à fuir sur son bateau qui est poussé sur les côtes de l’Afrique. Là il rencontre l’amour d’une reine mais il doit la fuir pour rencontrer son destin qui est de reconstruire ailleurs une autre ville. Le vent le poussera jusqu’à l’Italie où après avoir rencontré la  Sybille, puis Didon il fonde Rome.

yékrik yékrak ! Troia delenda est ! Mais avant que la citadelle ne brûle totalement  le couple royal défait, Ménélas et Hélène, se reforme ou se sépare à jamais ! Après quelques instants d’incertitude (dues à des douleurs que ressent subitement Ménélas au niveau des cornes), les fougueux époux se rabibochent, tout est pardonné . L’amour spartiate c’est beau, c’est mythique ! On imagine que Ménélas n’eut plus de fils avec  Hélène. Il leur fallut 8 ans pour rentrer chez eux à Sparte après 18 ans d’absence. A la mort de Ménélas Hélène est expulsée e Sparte et sera étouffée ans son bain par les servantes de la reine Polyxo. Triste fin pour l’un des plus grands sex symbols de l’antiquité, bien avnt la pulpeuse  et jazzy Joséphine Baker !

Quant à Ulysse (dont le nom grec est Odysseus) il lui fallut un peu plus 10 ans d’errance (il passa quand même 7 ans  dans la cabane de la nymphe Calypso qui était love de lui) avant se retrouver sa chère Ithaque,  sa fidèle Pénélope et son fils Télémaque. Tout cela à cause des cyclones, des tremblements e terre, des éruptions volcaniques et des dieux, des magiciennes comme Circé, des cyclopes, de Charybde en Scylla, de Scylla. Ce fut tout sauf la dolce vita. Et quand après 20 ans d’absence Ulysse retourna à sa chère patrie Ithaque, ce ne furent ni un ni deux ni trois  ni trois ni quatre mais 100 prétendants qu’il dut passer au fil de son épée ou de sa lance, avec l’aide de son fils et de quelques serviteurs qui lui étaient restés fidèles  pour récupérer la fidèle Pénélope qui faisait des maskos aux prétendants en tissant un hamac pour son beau-père qu’elle cousait en cachette (le hamac, pas le beau-père, voyons) toutes les nuits. Jusqu’à ce que l’une des servantes, une vraie salope, jalouse probablement de sa patronne et qui aurait voulu qu’on la courtise, elle à la place de Pénélope, comme Iznogoud qui voulait être calife à la place du calife,  découvre le pot aux roses et en fasse part aux prétendants . Un vrai massacre ! Exit Antinoos, occis d’une flèche dans le mitan de la gorge ! Exit Eurymaque, le favori qui tenait la corde presque, occis d’une flèche dans le foie ! Exit Amphinormos, occis par un coup de lance entre les reins concocté par le fils Télémaque ! Avec l’aide de ce même Télémaque, son fils, le porcher et le bouvier armés de boucliers et couverts d’airain et l’aide d’Athéna, la déesse,  ils éliminèrent tous un à un jusqu’au dernier prétendant et ils terminèrent le travail en pendant les 12 servantes, ces mauvaises larronnes qui avaient eu un trop mauvais comportement pendant ses 20 anse pérégrinations en Mer Méditerranée et enfin vint le tour de Mélanthios, le chevrier qui était au service des prétendants et qui l’avait injurié à son retour. Pauvre bougre ! N’insultez jamais ni la mère, ni la marraine ni la grand mère, ni la tante ni la grand-tante ni l’arrière-petite-nièce d’un héros qui a passé 20 ans loin de sa femme et de son fils unique, car vous vous exposez au châtiment de la géhenne. Mélanthios eut beau crier, gémir, sangloter,  se chier dessus, rien n’y fit, les héros ne jouent pas, yo pa ka jouwé menm, surtout quand ils ont pour alliés Athéna et Mentor ! Alors ce qui devait arriver arriva ! imaginez la douleur et le dénuement de celui à qui on tranche la queue, les graines, le nez et les oreilles et qu’on jette aux chiens,  puis les pieds et les mains. Comme on le voit il valait mieux à cette époque être prétendant à Sparte qu’à Ithaque. Car a cette époque-là le vent faisait souvent des siennes et pour pouvoir avancer il fallait souvent sacrifier là bétail, là esclaves, là jusqu’à sa propre progéniture, à l’exemple d’Agamemnon qui sacrifia sa propre fille Iphigénie.

Dans sa transposition dans ce qu’on a appelé la Méditerranée Américaine, Walcott met en scène le même trio amoureux: deux pêcheurs Achille et Horace et une bonne à tout faire Hélène, voilà l’argument de départ mais écoutez-le plutôt. Il en parlera bien mieux que moi (j’espère que vous parlez anglais quand même) :

Legba et la Compagnie depuis Akkad, depuis Elam, depuis Sumer

Aimé Césaire  dans La Tragédie du Roi Christophe (1963) quand vient l’heure du sacre de l’ancien chef cuisinier devenu roi au Cap, à Haïti, dans la cathédrale fait le choeur chanter:

« Henry vaillant guerrier

De la victoire ouvre-nous les portes »

Henry c’est Henry Christophe, personnification de Legba,  le Vaillant,  Papa Legba, le Janus haïtien, qu’on invoque en disant : « ouvre-moi la barrière ».

Vaillant est le mot qui a été attribué lors de son installation à Windsor Klébert Laferrière, plus connu sous le nom de Dany Laferrière alors qu’il venait d’être élu par les immortels pour occuper le fauteuil numéro deux de l’Académie Française, occupé juste avant lui par l’Argentin Hector Bianciotti (1930-2012) et bien longtemps avant par Alexandre Dumas fils, auteur de La Dame aux Camélias, descendant lui aussi d’une esclave haïtienne. Avant lui sur le 18ème fauteuil avait siégé Léopold Sédar Senghor.

« Vaillant :

adj. Qui a de la vaillance, qui est courageux. Une vaillante mère de famille. Un vaillant ouvrier. Un vaillant capitaine. Un peuple vaillant. C’est une nation vaillante. Il signifiait aussi Qui a de la valeur, qui vaut quelque chose; en ce sens il ne s’emploie plus que dans cette phrase : Il n’a plus un sou vaillant, Il ne possède plus rien. »

Elu le jeudi 12 décembre 2013 au premier tour, reçu en grande pompe le 28 mai 2015, il y a donc deux ans tout juste.  A son discours de réception devant la Compagnie réunie en habits verts et bicornes on ne sait si voletèrent en caquetant sous la coupole des poules noires et si aucun chien aux relents de clairin ne se mit à aboyer Barbancourt, on ne sait si le ricanement du cliquetis des béquilles retentit. Mais Legba fut invoqué en plein quai Conti.

« Legba, le dieu du panthéon vaudou dont on voit la silhouette dans la plupart de mes écrits. Sur l’épée que je porte aujourd’hui il est présent  par son vévé, un dessin qui lui est associé. Ce Legba permet à un mortel de passer  du monde visible au monde invisible, puis de revenir au monde visible. C’est donc le dieu des écrivains. »

738_papa-legba

Legba, Papa Legba, Eshu, Esu, Esu-Elegbara, Exu, Eleggua, Elegbara, ce vieillard, gardien des barrières, maître des trois chemins, maître des trois rigoles, ce Très-Bas, à béquille et à chapeau, ses cornes, sa barbichette, son pénis aux allures de baobab, présent par son vévé sculpté sur l’épée sculptée par Patrick Vilaire. Un quadrilatère qui rassemble autour de lui Aimé Césaire, le Martiniquais, Léopold Sédar Senghor le Sénégalais, Léon-Gontran Damas le Guyanais et donc pour conclure la quadrature du carré Dany le Haïtien, et en même temps Dany le Canadien, l’auteur de Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer (1985), devenu le 726ème académicien.

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Exu by Jean-Michel Basquiat (1988)

Il aurait pu aussi citer son compatriote René Depestre et une partie de son poème-fleuve  Atibon-Legba, extrait du Journal d’un animal marin :

« Je suis Atibon-Legba

Mon chapeau vient de la Guinée

De même que ma canne de bambou

De même que ma vieille douleur

De même que mes vieux os

Je suis le patron des portiers

Et des garçons d’ascenseur

Je suis Legba-Bois Legba-Cayes

Je suis Legba-Signangnon

Et ses sept frères Karatoulo

Je suis Legba-Karatoulo

Ce soir je plante mon reposoir

Le grand médicinier de mon âme,

Dans la terre de l’homme blanc

A la croisée de ses chemins »

Ou encore Césaire quand il invoque autre part Legba, le dieu de l’intersection :

« Maître des trois chemins, plaise que  que pour une fois  – la première fois  depuis Akkad, depuis Elam depuis Sumer – […] j’avance à travers les feuilles mortes de mon petit pas sorcier » (Oeuvres Complètes 1, 24)

Edouard Glissant dans Monsieur Toussaint, Malemort et  dans son poème Fastes évoque Legba tout comme Patrick Chamoiseau dans Solibo Magnifique et Raphaël Confiant. Alejo Carpentier , le cubain, avait dès 1949 et son  Le Royaume de ce Monde incarné Legba à travers le personnage de Ti Noël.

Jacques Roumain, le haïtien encore, dans Les Gouverneurs de la Rosée avec son personnage Manoel, incarnation lui aussi de Papa Legba.

Derek Walcott (1930-2017), le sainte-lucien, Prix Nobel de littérature en 1992, auteur de l’épopée Omeros (1990) qui transplante l’odyssée grecque dans l’espace caraïbe.

VS Naipaul, de Trinidad, Prix Nobel en 2001!

Mais je m’interroge: aucun auteur guadeloupéen ne figure sur la liste des invités du bal donné en l’honneur de Legba, organisé par Laferrière le 28 mai 2015.

Legba, l’esprit maître de tous les passages, serait-il interdit de séjour en Guadeloupe, boycotté, n’aurions-nous droit qu’à Saint-Pierre !? Sans chauvinisme, s’entend ! Nous aussi réclamons le droit inaliénable au trickster garde-barrières ! « Depuis Akkad, depuis Elam depuis Sumer » depuis 1960 et le Prix Nobel de Saint-John Perse, Alexis Saint-Léger, l’auteur de Pour fêter mon enfance, Images à Crusoë, Eloges, Anabase

 

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